Erik Orsenna - "La Grammaire est une chanson douce" (extrait)
Compréhension écrite B1/B2
La narratrice est une fille de dix ans qui s'appelle Jeanne et qui arrive avec son frère Thomas sur une île insolite, après le naufrage du bateau dont ils étaient les passagers et qui devaient les transporter au-delà de l'Atlantique, chez leur père. Sur la plage où ils échouent, ils constatent qu'ils sont devenus muets. Monsieur Henri les recueille et les aide à récupérer leur faculté à parler.
Erik Orsenna nous invite dans un univers fabuleux, où les mots sont surprenants. Leurs leçons sont mémorables.
Découvrez ce monde extraordinaire et émouvant, en lisant "La Grammaire est une chanson douce"!
Erik Orsenna nous invite dans un univers fabuleux, où les mots sont surprenants. Leurs leçons sont mémorables.
Découvrez ce monde extraordinaire et émouvant, en lisant "La Grammaire est une chanson douce"!
Lisez attentivement cet extrait:
"Les mots dormaient. Ils s'étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus. Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller.
Bêtement, je tendais l'oreille : j'aurais tant voulu surprendre leurs rêves. J'aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n'entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit.
Nous approchions d'un bâtiment qu'éclairait mal une croix rouge tremblotante.
- Voici l'hôpital, murmura Monsieur Henri.
Je frissonnai. L'hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n'arrivais pas à y croire. La honte m'envahit.
Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables.
Vous savez, comme ces Indiens d'Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens.
Il n'y a pas d'accueil ni d'infirmiers dans un hôpital de mots. Les couloirs étaient vides.
Seules nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol.
Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l'une des portes, telle une lettre qu'on glisse discrètement, pour ne pas déranger.
Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d'entrer. Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue :
Je t' aime
Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps.Trois mots reliés chacun par un tuyau de plastique à un bocal plein de liquide. II me sembla qu'elle nous souriait, la petite phrase. Il me sembla qu'elle nous parlait :
- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j'ai trop travaillé. Il faut que je me repose. - Allons, allons, Je t'aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu'on raconte aux malades. Sur le front de Je t'aime, il posa un gant de toilette humecté d'eau fraîche.
- C'est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie. «Un peu fatiguée», «un peu dur», Je t'aime ne se plaignait qu'à moitié, elle ajoutait des «un peu» à toutes ses phrases.
- Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donné, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi. Et il chantonna à son oreille le plus câlin de ses refrains."
(Erik Orsenna – « La Grammaire est une chanson douce »)
Bêtement, je tendais l'oreille : j'aurais tant voulu surprendre leurs rêves. J'aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n'entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit.
Nous approchions d'un bâtiment qu'éclairait mal une croix rouge tremblotante.
- Voici l'hôpital, murmura Monsieur Henri.
Je frissonnai. L'hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n'arrivais pas à y croire. La honte m'envahit.
Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables.
Vous savez, comme ces Indiens d'Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens.
Il n'y a pas d'accueil ni d'infirmiers dans un hôpital de mots. Les couloirs étaient vides.
Seules nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol.
Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l'une des portes, telle une lettre qu'on glisse discrètement, pour ne pas déranger.
Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d'entrer. Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue :
Je t' aime
Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps.Trois mots reliés chacun par un tuyau de plastique à un bocal plein de liquide. II me sembla qu'elle nous souriait, la petite phrase. Il me sembla qu'elle nous parlait :
- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j'ai trop travaillé. Il faut que je me repose. - Allons, allons, Je t'aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu'on raconte aux malades. Sur le front de Je t'aime, il posa un gant de toilette humecté d'eau fraîche.
- C'est un peu dur la nuit. Le jour, les autres mots viennent me tenir compagnie. «Un peu fatiguée», «un peu dur», Je t'aime ne se plaignait qu'à moitié, elle ajoutait des «un peu» à toutes ses phrases.
- Ne parle plus. Repose-toi, tu nous as tant donné, reprends des forces, nous avons trop besoin de toi. Et il chantonna à son oreille le plus câlin de ses refrains."
(Erik Orsenna – « La Grammaire est une chanson douce »)
Vérifiez votre compréhension orale:
Pour aller plus loin:
1. Commentez l'idée d'arbres aux mots. Les arbres - dortoirs ou nids? Quelle ressemblance entre les mots et les oiseaux?
2. Pourquoi pensez-vous qu'il y ait un hôpital des mots?
3. Pourquoi l'écrivain a-t-il choisi la nuit pour parler de cet hôpital, selon vous?
4. Qu'est-ce qu'il vous suggère, le sommeil des mots?
5. Comment trouvez-vous cette idée, un hôpital pour les mots?
6. Décrivez cet hôpital. Qu'est-ce qu'il y a de pareil et qu'est-ce qu'il y a de différent par rapport à un hôpital pour les humains?
7. Pourquoi la narratrice dit "La honte m'envahit"?
8. A votre avis, quel est le sens de la phrase "Vous savez, comme ces Indiens d'Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens"
9. Parlez de "Je t'aime". Pourquoi est-elle souffrante, selon monsieur Henri? Qu'est-ce que vous en pensez, vous?
10. Quelles autres causes des maladies des mots pourriez-vous proposer?
11. Selon vous, les mots sont-ils animés, ont-ils une âme? Justifiez votre réponse!
12. Ecrivez un texte où le narrateur/la narratrice est un mot de votre choix
Exemple:
"Je m'appelle OUBLI. Mon âge? Je ne m'en souviens plus. Je suis un peu gêné par mon aspect, car l'obésité rôde autour de moi depuis très longtemps et me voilà maintenant: trop gros, trop lourd, en dépit de mon nom à l'apparence frêle...
Au début, j'étais heureux d'être au centre de l'attention de tous. Ils caressaient mes voyelles douces et cette consonne liquide dont je suis tellement fier avait, dans leurs voix, le son d'une goutte de rosée sur la feuille du trèfle.. Je me sentais fortuné, puisque je semblais être le chouchou de tant d'humains... Pourtant, c'est bizarre! Plus ils me cajolent, moins ils m'aiment et cela est incompréhensible pour moi! Assurément, c'est parce que je suis si... dodu. Mon mot préféré est MINCE, je voudrais me lier d'amitié avec lui, mais il ne semble pas m'observer..." ( Copyright (C) Elena Buric Creative Commons BY-NC-SA-3.0)
2. Pourquoi pensez-vous qu'il y ait un hôpital des mots?
3. Pourquoi l'écrivain a-t-il choisi la nuit pour parler de cet hôpital, selon vous?
4. Qu'est-ce qu'il vous suggère, le sommeil des mots?
5. Comment trouvez-vous cette idée, un hôpital pour les mots?
6. Décrivez cet hôpital. Qu'est-ce qu'il y a de pareil et qu'est-ce qu'il y a de différent par rapport à un hôpital pour les humains?
7. Pourquoi la narratrice dit "La honte m'envahit"?
8. A votre avis, quel est le sens de la phrase "Vous savez, comme ces Indiens d'Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens"
9. Parlez de "Je t'aime". Pourquoi est-elle souffrante, selon monsieur Henri? Qu'est-ce que vous en pensez, vous?
10. Quelles autres causes des maladies des mots pourriez-vous proposer?
11. Selon vous, les mots sont-ils animés, ont-ils une âme? Justifiez votre réponse!
12. Ecrivez un texte où le narrateur/la narratrice est un mot de votre choix
Exemple:
"Je m'appelle OUBLI. Mon âge? Je ne m'en souviens plus. Je suis un peu gêné par mon aspect, car l'obésité rôde autour de moi depuis très longtemps et me voilà maintenant: trop gros, trop lourd, en dépit de mon nom à l'apparence frêle...
Au début, j'étais heureux d'être au centre de l'attention de tous. Ils caressaient mes voyelles douces et cette consonne liquide dont je suis tellement fier avait, dans leurs voix, le son d'une goutte de rosée sur la feuille du trèfle.. Je me sentais fortuné, puisque je semblais être le chouchou de tant d'humains... Pourtant, c'est bizarre! Plus ils me cajolent, moins ils m'aiment et cela est incompréhensible pour moi! Assurément, c'est parce que je suis si... dodu. Mon mot préféré est MINCE, je voudrais me lier d'amitié avec lui, mais il ne semble pas m'observer..." ( Copyright (C) Elena Buric Creative Commons BY-NC-SA-3.0)