Nathalie sarraute - "enfance"
Je me promène avec mon père… ou plutôt il me promène, comme il le fait chaque jour quand il vient à Paris. Je ne sais plus comment je l’ai rejoint…quelqu’un a dû me déposer à son hôtel ou bien à un endroit convenu… il est hors de question qu’il soit venu me chercher rue Flatters…je ne les ai jamais vus, je ne peux pas les imaginer se rencontrant, lui et ma mère... Nous sommes passés par l’entrée du Grand Luxembourg qui fait face au Sénat et nous nous dirigeons vers la gauche, où se trouve le Guignol, mes balançoires, les chevaux de bois…
Tout est gris, l’air, le ciel, les allées, les vastes espaces pelés, les branches dénudées des arbres. Il me semble que nous nous taisons. En tout cas de ce qui a pu être dit ne sont restés que ces mots que j’entends encore très distinctement : » Est- ce que tu m’aimes papa ?… » dans le ton rien d’anxieux, mais quelque chose plutôt qui se veut malicieux…il n’est pas possible que je lui pose cette question d’un air sérieux, que j’emploie ce mot « tu m’aimes » autrement que pour rire… Il déteste ce genre de mots, et dans la bouche d’un enfant…
- Tu le sentais vraiment déjà à cet âge ?
- Oui, aussi fort que je ne l’aurais senti maintenant… ce sont des choses que les enfants perçoivent mieux que les adultes.
Je savais que ces mots « tu m’aimes », « je t’aime » étaient de ceux qui le feraient se rétracter, feraient reculer, se terrer encore plus loin au fond de lui ce qui était enfoui*…Et en effet, il y a de la désapprobation dans sa moue, dans sa voix… « Pourquoi me demandes-tu ça ? » Toujours avec une nuance d’amusement… parce que cela m’amuse et aussi pour empêcher qu’il me repousse d’un air mécontent, « Ne dis donc pas de bêtise »… j’insiste : Est- ce que tu m’aimes, dis-le moi. – Mais tu le sais… - Mais je voudrais que tu me le dises. Dis-le, papa, tu m’aimes ou non ? … sur un ton, cette fois comminatoire* et solennel qui lui fait pressentir ce qui va suivre et l’incite à laisser sortir, c’est juste pour jouer, c’est juste pour rire… ces mots ridicules, indécents : " Mais oui mon petit bêta, je t‘ aime".
Nathalie Sarraute Enfance ( Editions Gallimard 1983)
Vérifiez votre compréhension lexicale en faisant le test suivant:
Tout est gris, l’air, le ciel, les allées, les vastes espaces pelés, les branches dénudées des arbres. Il me semble que nous nous taisons. En tout cas de ce qui a pu être dit ne sont restés que ces mots que j’entends encore très distinctement : » Est- ce que tu m’aimes papa ?… » dans le ton rien d’anxieux, mais quelque chose plutôt qui se veut malicieux…il n’est pas possible que je lui pose cette question d’un air sérieux, que j’emploie ce mot « tu m’aimes » autrement que pour rire… Il déteste ce genre de mots, et dans la bouche d’un enfant…
- Tu le sentais vraiment déjà à cet âge ?
- Oui, aussi fort que je ne l’aurais senti maintenant… ce sont des choses que les enfants perçoivent mieux que les adultes.
Je savais que ces mots « tu m’aimes », « je t’aime » étaient de ceux qui le feraient se rétracter, feraient reculer, se terrer encore plus loin au fond de lui ce qui était enfoui*…Et en effet, il y a de la désapprobation dans sa moue, dans sa voix… « Pourquoi me demandes-tu ça ? » Toujours avec une nuance d’amusement… parce que cela m’amuse et aussi pour empêcher qu’il me repousse d’un air mécontent, « Ne dis donc pas de bêtise »… j’insiste : Est- ce que tu m’aimes, dis-le moi. – Mais tu le sais… - Mais je voudrais que tu me le dises. Dis-le, papa, tu m’aimes ou non ? … sur un ton, cette fois comminatoire* et solennel qui lui fait pressentir ce qui va suivre et l’incite à laisser sortir, c’est juste pour jouer, c’est juste pour rire… ces mots ridicules, indécents : " Mais oui mon petit bêta, je t‘ aime".
Nathalie Sarraute Enfance ( Editions Gallimard 1983)
Vérifiez votre compréhension lexicale en faisant le test suivant:
Copyright (C) Elena Buric Creative Commons BY-NC-SA-3.0
|
|
|